Le Vaisseau

De la pizza chaude et des portes

De: Charles Quenoche
À: Le Mick d’Amérique

Cher Mick d'Amérique,


Je songeais à téléphoner à mon concierge, qui se nomme Serrurier Multicrasse, afin que celui-ci répare ma sonnette, dont le tintement était déficient, ou plutôt dont le tintement était absent. Dans une tournure d'événement favorable, cette pathologie a été contrecarrée par le livreur de pizza, ce grand manitou de ruelles, qui a réussi à me prévenir de son arrivée (en doigtant surprenamment, mais minutieusement, ladite).


Ainsi, ce problème étant résolu et ma faim d'entrer en contact avec un individu, elle, étant toujours fraîche et en suspens, je décide d'entrer en contact avec toi.


Tu ne répares pas les sonnettes, mais tu connais les portes ! Aussi, tu ne racontes pas de sornettes et tu aimes tes potes. Ces prédispositions judicieusement reliées ne font que m'encourager à t'écrire.


Tu as une bonne connaissance des portails en bois (des portes), comme Jim Morrison. Sapristi de tabernacle, il n'avait pas appelé cela The Doors pour rien. Tout comme lui, tu apprécies les expériences shaman-hic ! Soient celles qui donnent accès à l'autre monde, à « l'envers du décor » Tu crois, comme Morrison l'a pensé, qu'il est une Majestueuse Porte qu'il faudra ouvrir, un jour ou l'autre, qui permettra une succion réciproque de ces univers si proches, un mélange, un bâtard de party. Si empêtrés que nous sommes dans notre monde farouche, si épuisés que nous sommes à force de nous verser du café sur la tête et à éternuer du sang sur les fleurs, nous oublions l'Autre Monde.

Pourquoi ai-je commandé ma pizza, si je puis me permettre cette digression graisseuse ? J'y suis allé, à la pizzeria, tout à l'heure. J'y ai croisé un ancien camarade. Qui me parlait de tout un tas de trucs invraisemblables. Il voit des hasards significatifs là où je ne saurais même pas en voir si je m'y efforçais. L'ancien ami est un conspirationniste, un type qui imagine des relations qui ne sont pas fondées entre les chiffres, un flou furieux !

 

Je me disais : le Mick d'Amérique, le Nosmiky et moi-même devons très certainement sembler être de pareils fous aux yeux des autres. Mais ce n'est pas cela. Le problème de cet ex-camarade que j'ai croisé est celui de la porte. Le pauvre bougre a jeté un oeil frénétiquement attiré, curieux et inquiet dans l'entrebâillement, il a vu des choses, des monstres, des entités, une kyrielle de squelettes dansants ! Mais il n'a jamais fait tourner le panneau mobile sur ses gonds.

 

Ainsi, pour ma part, j'ai eu peur de lui. Je suis retourné chez moi pour commander la pizza plutôt que de la prendre au comptoir. Pas de temps à partager avec celui qui s'est étouffé avec ses visions !

 

Tu me permettras de citer une pièce de théâtre écrite par le nouveau Shaképieu, dit le Prince Rotatif.

 

Ici, le personnage dit :

 

« Je voudrais ramener cet univers sur Terre. Sauver ma planète, ses habitants. Éponger d'une eau divine les moindres brûlures ; apaiser de l'exact remuement de lèvres chaque blessure sourde ; enterrer les vices ; me propulser d'éclair à éclair, comme s'il s'agissait de lianes, afin de toujours être là pour aider mon prochain dans le malheur. »

 

Et l'autorité suprême de lui répondre :

 

« N'avez-vous jamais songé que le Paradis se suffit peut-être à lui-même ? »

 

Envers du décor, univers jumeau, paradis, tout cela ne sont que des synonymes complaisants culturellement ! Façonnés pour le pavillon de l'oreille qu'ils chatouillent.

 

Ainsi, tu veux ouvrir cette porte, mais tu ne sais pas ce qui se produira ensuite. Qui entrera, entrera. Qui quittera, quittera. Il n'est pas question de faire du métissage, nous voulons seulement qu'il y ait de la communication dans le passage !

 

Mais pour cela, Mick d'Amérique, tu dois te réveiller. Il semble que tu as fameusement hiberné, sous les couvertures de neige, collé en cuiller contre le Yéti, notamment.

 

Il est temps que tu regagnes la barre du Vaisseau, que tu fracasses les horizons (attention aux moineaux dans le pare-brise) et que tu propulses le grand véhicule artistique vers l'autre moitié de l'univers.

 

Nous t'attendons !

 

Bacchus Olympius,

dit le délinquant austère,

dit CHARLES QUENOCHE

Des histoires pour les fleurs

Le vent et les arbres s’enlacent suavement. C’est le souffle chaud de l’été qui apaise l’âme des voyageurs. Je profite allégrement du répit que procurent les heures, n’exigeant rien d’autre que de sentir le sang rouler à travers mes veines. J’ai souvenir de mes ébats dans l’imaginaire, de rencontres plus ou moins glorieuses avec mes monstres et mes anges intérieurs. Je m’ennuie sans trop m’ennuyer de mes épopées — s’émanciper dans l’envers du décor demande temps et énergie. 

J’aimerais repartir en mission, mais je ne ressens aucune urgence: le ciel me sied si bien; l’or foin me chatouille l’âme; mes pieds s’enracinent jusqu’au coeur de la terre. Pourquoi troquer le réconfort de la paix contre l’incertitude de la création, les remises en questions du tangible et les retours épuisants de mission? Je sais, je suis un jeune commandant prématurément à la retraite. Même si j’ai l’impression d’avoir fait le tour de tous mes rêves, d’avoir épuisé les réserves créatives, un appel certain me triture l’intérieur — une forme d’intuition qui me commande de reprendre la barre du Vaisseau

Antoine, mon garçon, est assis devant la maison, face au jardin. Il a apporté quelques livres avec lui et récite des histoires aux plants de tomates:

— Qu’est-ce que tu fais mon loup?
— Je parle aux plantes, papa. Tu m’as dit que ça les aide à grandir. Tu te souviens?

Il a raison. Je lui ai en effet raconté ce que j’avais lu quelque part à ce propos lorsque nous préparions le jardin. Il s’arrête un instant et me dit:

— Est-ce que tu savais que les petites graines qui font des fleurs, elles dorment en dessous de la terre tout l’hiver avant de pousser quand la neige fond? C’est fou! Hein?

Je hoche affirmativement de la tête pendant qu’il rapatrie les livres de contes et dit au revoir aux fleurs et aux légumes. 

Et si une fulgurante créativité avait germé tout ce temps à l’intérieur de moi? L’appel à la création est peut-être simplement une fleur qui tente d’éclore par-delà les ténèbres? Je devrais peut-être écouter cette intuition. Ou pas. Je n’en sais trop rien!

En entrant dans la maison, j’entends le «ding!» familier de mon téléphone qui m’indique que j’ai reçu un courriel. Doux Jésus! C’est Charles. Ça fait un bail que je n’ai pas eu de nouvelles de lui.

Le terrier

La maison embaume la tarte au sucre préparée par belle Yza. Je l’aperçois se prélasser dans un bain fumant et moussant par une brèche de la porte de salle de bain. Un autre café chaud près du foyer alors que mes yeux se perdent dans le blizzard. Simon saute dans mon dos et me fait un interminable câlin. Il me tend ensuite un cadeau: un dessin fait de sa main et un sac de chocolat juste pour moi.

 

Je descends dans ma tanière rock’n’roll pour extraire un peu de symphonie de ma journée. Même le lapin blanc a besoin d’un terrier. Peu importe où mes pas me mèneront, je sais que j’aurai maison et amour qui m’attendent.

 

La vie ne pourrait être plus belle.

Folie manifeste et voie manifestée

Je finis par joindre le Nomisky via la messagerie pour lui faire part de mon excitation: tard dans la nuit du 28 décembre 2015, j’avais retrouvé la voix, la voie aussi. Cette voix étouffée par de nombreuses années de normalité nécessaire. Cette voie dont j’avais aperçu le pavé à mes 16 ans et que j’ai délaissé. Le 29 décembre 2015, je suis mort et ressuscité, et nous nous devons de fêter l’avènement.

 

C’est l’hiver, enfin. La première vraie bordée de neige est l’excuse parfaite pour écouter White Rabbit à volume démesuré. J’adore taper sur les cymbales avec un bâton de baseball. Le feedback de ma guitare branchée à un ampli au maximum est une harpie qui vocifère un chant de guerre. Rien ne sera jamais plus pareil. Tant mieux! 

Bonhomme Sept Heures et belle visite

Tandis que de la petite politique se fait à tivi — le chant électoral des sirènes pour gazer le bon peuple —, un petit groupe aux rythmes agrestes alimente le bon feu de l’aurore. C’est une révolution maison en chansons; un raz-le-bol aux paroles fumantes; leur façon bien à eux d’ébranler les fondations du 1% qui picosse dans nos sacoches et nos caboches. Il y a aussi des histoires de chums, de région et de vie à deux: du beau gros plaisir dans les oreilles.

Pendant que je me prends des salves de rocks, j’en profite pour bidouiller les fréquences, écrire et prendre quelques portraits. Le Vaisseau éteindra ses phares tôt au tard, mais pas ce soir.